[ Pobierz całość w formacie PDF ]
.Quelque chose de démesuré, cette école bâtie en 1905, en un temps où l'on continuait de croire à l'avenir de l'humanité, du moins à l'éternité d'une France dont les campagnes étaient encore peuplées d'enfants et de gens jeunes, et où le drapeau tricolore ne flottait pas à côté de celui de l'Union européenne, « laquelle est tout sauf une nation », disait mon oncle en ajoutant que c'était être un bien grand fadard que de faire comme s'il n'y avait pas eu la Grande Guerre ni la débâcle de l'autre, puis la perte des colonies, et de ne pas voir que la France ne se relèverait pas de ces saignées, de ces humiliations, de la décadence de ses mœurs.Il était entré dans la chambre voisine de la mienne et avait entrouvert les persiennes.Je n'étais donc pas la seule à regarder le nouveau venu pousser le lourd portail de l'école puis monter jusqu'à la porte des logements de fonction et puis hésiter, comme si, malgré la chaleur, il avait froid dans le couloir obscur ou qu'il eût peur, cherchant peut-être à faire entrer un peu de jour dans la maison, se sentant seul, abandonné, en proie au doute, ai-je pensé tout comme mon oncle qui avait fini par redescendre, dans la cuisine cette fois, et qui m'appelait pour que j'aille porter au visiteur un panier contenant du pain, de la charcuterie, du fromage, une pomme et une bouteille de vin.« On ne doit pas laisser un homme avoir faim.» Pour la première fois de ma vie, je me sentais non seulement reconnaissante envers cet homme qui n'avait guère plus de relief pour moi que le vaisselier de la salle à manger, mais pleine d'une joie nouvelle.Ce n'était pourtant, de sa part, qu'un geste « commerçant » qui, en d'autres circonstances, m'aurait fait horreur ; mais je n'y ai plus pensé, le trouble que j'avais ressenti devant l'inconnu me reprenant tandis que je marchais sur le trottoir de la rue Neuve, le panier à la main, bien droite dans mon T-shirt blanc et mon jean bleu délavé, m'efforçant de prendre l'air d'une brave fille qui va porter des provisions à sa vieille grand-mère, ou comme le faisait, chaque semaine, le père Galland qui apportait, dans une maison voisine de la nôtre, une douzaine d'œufs à l'unique descendante d'une des grandes familles du bourg, Monique Bugeaud, qui en faisait sa nourriture quasi exclusive et ne sortait plus de chez elle depuis la mort de sa mère.Nous ignorions encore qu'elle était une cousine éloignée du nouvel instituteur, nous étonnant rétrospectivement qu'il ne soit pas entré pour la saluer et lui demander de l'aide, ce soir-là, et qu'il n'allât, par la suite, presque pas la visiter, ne pouvant comprendre qu'on puisse rompre définitivement avec son passé et qu'il ne voulût être que ça, un instituteur, rien d'autre, pas même un petit-cousin, un parent éloigné, s'étant dépouillé de tout, y compris du nom sous lequel on l'avait connu écrivain, et peut-être aussi de ce dont il semble impossible de se défaire : les souvenirs, ce qu'on a été, le frémissement du sang dans la mémoire, ce qui est le bien commun des siècles plutôt que des individus.Je surveillais ma démarche, me sachant observée par les gens de la rue Neuve, par lui aussi, peut-être, là-haut, qui s'était assis sur le seuil de la maison à présent envahie par l'ombre de la plus haute colline, à l'ouest, couverte de grands sapins serrés, et par celle de l'église avec son vieux cimetière dont les croix, les stèles, les verrières des caveaux, le granit verni des pierres brillaient dans les derniers rayons du soleil comme un champ de sculptures en verre coloré tel que j'avais pu en voir, à Meymac, dans une exposition d'art contemporain où m'avait traînée Cécile et où j'avais choqué quelqu'un, l'artiste probablement, en déclarant que tout ce fourbi ne valait pas le rouge presque transparent, couleur de sang séché, des feuilles de hêtre dans le soleil levant, à la fin de l'automne.J'aurais voulu passer pour une promeneuse du soir, une chercheuse de champignons, une fille comme les autres, mais ce n'étaient ni la saison ni l'heure, et je me sentais godiche ou, pour le dire mieux, portée au-delà de moi-même, le cœur battant plus vite, respirant avec peine, attribuant cela à la chaleur qui ne tombait pas avec la nuit, à la fatigue, à l'inquiétude, aussi, comme si c'était moi qu'on envoyait à cet homme, et non le panier de victuailles.Le doute me prenait peu à peu : j'avais envie de pleurer ; mon ventre se serrait ; j'ai secoué la tête, pensant que pour une fois mon cœur devait l'emporter sur ma raison.Je serrais les dents.J'ai poussé la porte de fer forgé que je n'avais pas franchie depuis ma dernière année d'école et qui, devant une demi-lune de gravier où était garée sa voiture, une vieille Saab noire dont nul n'avait la pareille dans tout le canton, voire dans le haut Limousin, s'ouvrait sur un chemin de terre montant à travers un pré transformé en une vague pelouse en pente, disait mon oncle qui y avait souvent passé la faux, enfant, et rassemblé l'herbe en de petits tas dont les instituteurs d'autrefois nourrissaient les lapins qu'ils élevaient dans un appentis, derrière le préau.Une herbe haute et jaune, dans laquelle la mairie n'avait fait passer nulle tondeuse et où, montant le raidillon, je me souvenais de m'être jetée, autrefois, lorsqu'on m'avait appris la mort de mes parents, roulant sur moi-même pour trouver dans le vertige et les vomissements une façon d'oublier que j'étais désormais seule au monde [ Pobierz całość w formacie PDF ]

© 2009 Każdy czyn dokonany w gniewie jest skazany na klęskę - Ceske - Sjezdovky .cz. Design downloaded from free website templates