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.Philippe DelermDickens,barbe à papaet autresnourritures délectablesGallimardJ’aime ce qui me nourrit : le boire, le manger, les livres.LA BOÉTIELes plats se lisent et les livres se mangent.MARCEL PROUSTToujours pâle et absorbée, elle lisait avec un air dur, à côté d’une tasse de chocolat refroidi.COLETTEPhilippe Delerm est né le 27 novembre 1950 à Auvers-sur-Oise.Ses parents étaient instituteurs et il a passé son enfance dans des « maisons d’école » à Auvers, à Louveciennes, à Saint-Germain.Après des études de lettres, il enseigne en Normandie où il vit depuis 1975.Il a reçu le prix Alain-Fournier 1990 pour Autumn (Folio n° 3166), le prix Grandgousier 1997 pour La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, le prix des Libraires 1997 et le prix national des Bibliothécaires 1997 pour Sundborn ou les jours de lumière (Folio n° 3041), le prix Aliénor d’Aquitaine 2007 pour La tranchée d’Arenberg et autres voluptés sportives.Il ne lit pas : il dévore.C’est d’un enfant qu’on dit cela.Qu’en était-il des livres, à l’âge où l’on dévore ? Qu’en était-il du boire et du manger ? Des traces en sont restées, qui donnent envie d’écrire.Mais le désir s’est prolongé.La faim, la soif, les mots.Bien sûr que l’on dévore encore, et c’est très bon.Merci pour la purée, pour Alain de Botton, pour le vin chaud, pour Léautaud, pour les Mustang de don Pedro, pour Flaubert et la menthe à l’eau, pour la pizza des pas perdus, les nuits anglaises de Dickens et les secrets du mousseux tiède.Bien sûr que l’on dévore encore.Comment se souvenir sinon d’avoir pu dévorer ?Purée vivanteAu fil des ans, la purée est devenue simplement un accompagnement.Au restaurant, surtout.Là, c’est comme si la purée de pommes de terre était proscrite, honteuse.Certes, on peut trouver jolies ces petites taches de couleur sur l’assiette large.Pintade avec ses trois purées : céleri, topinambour, pois cassés.Carotte, quelquefois.Trois ronds de mousse tiède et parfumée.Avalé chacun en deux bouchées.Là commence la perversion.Peut-on décemment appeler purée ce qui se mange en deux bouchées ? Le mot lui-même appelle un autre espace, une autre densité.Alors chez soi, un soir, on se fait une vraie purée.Déploiement d’un journal sur la table de la cuisine, pour raison d’épluchage.Un vieux numéro de L’Équipe est très bien pour ça.En attaquant les patates, entre deux coups d’épluche-légumes, c’est intéressant de savoir ce que Zidane pensait à la veille du match contre Monaco qui s’est joué il y a six mois.C’est comme les images des années 1900 où l’on évoquait l’an 2000.On a tout son temps.Lavage intransigeant des pommes de terre sous l’eau froide, séchage sur un torchon immaculé étalé sur l’évier.Peut-être pas très nécessaire, puisqu’on va les plonger dans l’eau de la casserole, mais il semble que les choses sont plus parfaites ainsi.La cuisson est toujours plus longue qu’on ne pense.Avec une fourchette, on sonde la texture : pas trop dure ni trop molle, il faut couper le feu au bon moment.Mais, l’eau vidée, c’est après qu’il faut doser avec sagacité le lait, le beurre.Et puis la volupté de l’écrasement au presse-purée.Rien de très difficile, mais un engagement physique et mental constant — les nouvelles à la radio ronronnent, on ne les écoute pas vraiment.On aurait pu faire aussi des chipolatas, ou du boudin.Mais non.C’est mieux de remplir son assiette de purée, de se concentrer sur l’objectif.Et puis on sait bien.On ne pourra pas s’empêcher d’étaler, de parfaire le cercle, de commencer à dessiner avec le dos de la fourchette ces stries en diagonale et en carré — une galette de purée, l’enfance n’est pas morte.Lecteur entre deux peursQuelque part au cœur d’un Londres dix-neuvième, le comble de la civilisation et de la racaille mêlées.Les destins faramineux nés d’héritages compliqués y sont sans cesse menacés par des hommes de main : leur rire sardonique traverse les brouillards de Tavistock Square.Le héros de Dickens habite quelque temps une rue populaire, un appartement modeste et confortable.Une logeuse s’occupe de son linge, prépare ses repas, remet du charbon dans le poêle.En dépit de la sympathie que nous inspire le jeune homme, nous le trouvons un peu goujat de se laisser ainsi servir par une vieille femme.Pour lui qui n’a connu jusque-là que marâtres et pensionnats cruels, c’est certes une revanche sur le sort.Elle nous semble équivoque et frêle.Ce petit côté installé est bon à prendre.Il ne va pas durer.Bientôt, notre héros devra quitter les lieux dans l’effarement d’une nuit au couteau.Un compagnon taciturne enveloppé dans un long manteau noir fait danser dans l’escalier les ombres terrifiantes d’une lanterne sourde.Il y aura beaucoup de pluie, les quais de la Tamise, une poursuite en bateau.Nous serons soulagés de retrouver le jeune homme cheminant dans un sentier herbeux, à nouveau libre et sans le sou.Le vent froid du matin soufflera sa nouvelle chance.Pour nous qui savons mieux que lui ses risques et son danger, la saveur ouatée de l’appartement petit-bourgeois londonien est délectable.Elle dure quelques pages, et c’est en imagination que nous goûtons les motifs bleu pâle du papier peint, les courbes du fauteuil tendu de velours prune, les scènes des Mille et Une Nuits reproduites en gris cendré sur les assiettes rangées dans le haut vaisselier.L’auteur ne nous dit rien de tout cela.Il se contente de bourrer l’estomac de son héros d’une quantité formidable de côtelettes, dont l’excès nous est épargné.Lecteur, c’est beaucoup mieux qu’héritier locataire.On invente les meubles ; on les habite pour l’éternité.Faire petit« Faï petit ! » Il faut dire ces mots avec l’accent du Midi, en prononçant le second t — pétite.Mes deux grands-mères du Tarn-et-Garonne me lançaient cette phrase en patois, à l’heure du goûter.Faï petit.Fais petit
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