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.C’était Jhary-a-Conel qui avait affirmé que lui et Corum pouvaient bien être des « aspects d’un plus grand héros » ; de fait, dans la Tour de Voilodion Ghagnasdiak, il avait rencontré deux autres aspects de ce héros, Erekosë et Elric.Selon Jhary, tous deux étaient d’autres incarnations de Corum et il entrait dans les attributions d’Erekosë de connaître la plupart de ces incarnations.Une idée que l’esprit de Corum parvenait à concevoir, mais que ses sens rejetaient.Il était Corum.Tel était son destin.Corum détenait une collection de tableaux de la main de Jhary (pour la plupart des portraits du peintre lui-même, mais aussi de Rhalina, de Corum et du petit chat ailé noir et blanc dont Jhary ne se séparait jamais, pas plus que de son chapeau).Corum, dans ses périodes les plus morbides, examinait les portraits, se souvenant des jours anciens, mais peu à peu eux aussi finirent par lui renvoyer l’image d’étrangers.Il s’efforçait de songer à l’avenir, de faire des projets, mais ses résolutions restaient lettre morte.Aucun projet, aussi précis, aussi cohérent fût-il, ne gardait consistance plus de deux ou trois jours.Ses œuvres, prose, poèmes, musique, peintures, toutes inachevées, jonchaient le château d’Erorn.Le monde avait fait un guerrier d’un homme pacifique, pour ensuite l’abandonner sans ennemi à combattre.Tel était le sort de Corum.Il n’avait aucune raison de travailler la terre, tout poussait dans l’enceinte du château.Il ne manquait ni de viande ni de vin.Erorn pourvoyait à tout ce dont son petit nombre d’occupants avait besoin.Corum avait passé plusieurs années à mettre au point diverses mains artificielles, s’inspirant de ce qu’il avait vu chez le docteur dans le monde de Dame Jane Pentallyon.Il en possédait à présent une série, toutes remarquables, qui fonctionnaient aussi bien qu’une main de chair et d’os.Sa préférée, qu’il utilisait le plus souvent, ressemblait à un gantelet finement ouvragé, filigrané d’argent, l’exact pendant de celle que le Comte Glan-dyth-a-Krae avait tranchée près d’un siècle plus tôt.C’était la main dont il aurait pu se servir pour brandir son épée, sa lance ou son arc, si seulement l’occasion s’était offerte de prendre les armes.Une légère contraction des muscles de son moignon suffisait à lui faire effectuer le travail d’une main normale, davantage même, car la poigne en était plus forte.Par ailleurs, il était devenu ambidextre, aussi habile de la main gauche qu’il l’avait été de la droite.Pourtant toute son habileté ne pouvait lui procurer un nouvel œil et il devait s’accommoder d’un simple bandeau, recouvert de soie écarlate et orné d’un motif compliqué minutieusement brodé par Rhalina.C’était maintenant chez lui un geste machinal que d’y promener régulièrement les doigts de sa main droite pour en suivre les contours, tout en ruminant de sombres pensées, assis dans son fauteuil.Corum en vint à croire que sa morosité tournait à la folie quand une nuit, couché dans son lit, il se mit à entendre des voix.On aurait dit un chœur lointain psalmodiant un nom qui pouvait être le sien, dans une langue ressemblant au vadhagh, mais différente pourtant.Malgré tous ses efforts, il ne put chasser ces voix, et il eut beau tendre l’oreille, il ne comprit guère plus d’un mot ou deux de leur chant.Au bout de plusieurs nuits de cette présence confuse, il leur cria de se taire.Il gémissait.Il se roulait dans la soie et les fourrures de sa couche en se bouchant vainement les oreilles.Dans la journée il essayait d’en rire, partait pour de longues courses à cheval afin de revenir exténué et de s’endormir comme une masse.Mais les voix lui parvenaient toujours.Puis il eut des visions : des silhouettes indistinctes dans un bosquet au milieu d’une épaisse forêt.Elles se tenaient en cercle par la main, et il était au milieu, semblait-il.En rêve il leur parlait, leur disant qu’il ne pouvait les entendre, qu’il ne savait pas ce qu’elles désiraient.Il leur demandait de le laisser en paix.Mais elles continuaient de chanter.Elles avaient les yeux clos, la tête rejetée en arrière.Elles se balançaient.« Corum.Corum.Corum.Corum.— Que me voulez-vous ?— Corum.Venez à notre secours.Corum.»Il brisait leur cercle pour s’enfuir dans la forêt et il se réveillait.Il savait ce qui lui était arrivé : son esprit avait chaviré.Dans son désœuvrement il avait imaginé des fantômes.À sa connaissance, le phénomène n’avait jamais affecté aucun Vadhagh, bien qu’il fût assez fréquent chez les Mabdens.Vivait-il encore dans un rêve mabden, comme Shool l’avait jadis prétendu ? Le rêve des Vadhaghs et des Nhadraghs appartenait-il au passé ? Et, par conséquent, s’agissait-il d’un rêve dans un autre rêve ?Mais ces pensées n’apportaient que confusion dans son esprit.Il s’efforça de les chasser.Il ressentit le besoin d’être conseillé, mais il ne voyait personne vers qui se tourner.Les Maîtres de l’Ordre et du Chaos n’imposaient plus leur loi ici-bas, ils n’avaient plus de serviteurs auxquels transmettre au moins quelques parcelles de leur savoir.En matière de philosophie, Corum en savait plus que quiconque
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