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.Il veut prêcher en paix, comme je veux gouverner en paix.Pourrions-nous entreprendre quelque chose ensemble ? Je crois, hélas, que l’heure est passée.Il n’y aura plus de controverse.Le temps du verbe va faire place au temps des armes.TolosaToulouse, février 1208Le rouge vif des immenses remparts de brique surprend le voyageur lorsqu’il découvre Toulouse.La muraille est percée de portes monumentales flanquées de tours fortifiées.Le soleil déclinant donne à l’enceinte de la cité des teintes étonnantes.Une couleur d’orange mûre, là où frappent encore les rayons, puis un mauve profond qui s’étend avec la pénombre.Planté comme une sentinelle devant la porte du Sud depuis l’époque romaine, le vieux château Narbonnais dresse sa silhouette massive.C’est dans cette forteresse austère que je suis né.J’ai grandi à l’ombre des murs de brique de ce bastion édifié à l’extérieur de la ville, à quelques pas du rempart.Chaque angle du bâtiment est formé d’une grosse tour.Dans la tour des Sacs, on entrepose les armes, les marchandises, les provisions de bouche et le vin.La tour de la Géhenne sert de prison.Dans la tour Gaillarde loge la garnison.La tour du Midi abrite ma vie familiale.Les courtines encadrent une vaste cour centrale.Dans les angles épargnés par le piétinement des chevaux, pousse une végétation disparate.Un bouquet de roseaux dont les tiges montent jusqu’au premier étage plonge ses racines dans une terre gorgée de l’eau de la Garonne toute proche.À l’autre extrémité se dressent trois cyprès droits comme des chandelles.Ici et là poussent un laurier, des jasmins, un olivier.Au milieu de la cour s’élève Interminable tronc d’un mince palmier surmonté d’un petit bouquet vert.Rapporté d’Orient et planté ici il y a plus d’un siècle, il donne au château Narbonnais un air de caravansérail.— Ramonet !Mon fils vient d’avoir dix ans.Il accourt les bras ouverts.— Eléonore !Je retrouve mon épouse avec bonheur.Ils se serrent contre moi.Je prends congé de mes compagnons de route pour emprunter le vieil escalier à vis conduisant à la grande salle, au premier étage de la tour du Midi.Là, je peux goûter le calme et les joies de l’intimité familiale.La salle est barrée d’une longue table de bois bordée de deux bancs.À chaque extrémité, une chaise haute marque la place d’Éléonore et la mienne.Pour vaincre le froid du voyage, la servante me verse un grand bol brûlant de bouillon de viande.Les flammes de la cheminée et dix grosses chandelles éclairent la pièce.Mes enfants naturels Bertrand et Guillemette viennent partager avec leur demi-frère, le petit Raimond, le repas des retrouvailles.Bertrand aura bientôt trente ans.S’il était issu d’une union légitime, il serait mon héritier.Mais, comme sa sœur Guillemette, née quelques années après lui, il est l’enfant de mes rencontres secrètes sur la Garonne.Je les ai conçus, lui et Guillemette, au fond d’une barque, dans les bras d’une brune aussi belle que joyeuse dont les éclats de rire et les audaces me distrayaient de la tristesse austère de mon épouse de l’époque.Pendant que Béatrix se morfondait au château Narbonnais, je partais pour de longues parties de pêche sur le fleuve.Glissant doucement le long des roseaux, je guidais ma barque vers l’une des innombrables petites îles qui forment un archipel en amont de Toulouse.C’est là que nous nous retrouvions, seuls, sous le soleil dont les rayons chauffaient mon dos et donnaient au visage de l’aimée le teint d’une jeune sarrasine.Quelques hérons cendrés étaient les uniques témoins de notre étreinte.Au crépuscule, nous nous quittions avec mélancolie, impatients déjà des lendemains.Après avoir déposé mon amante sur la rive sablonneuse, je laissais dériver ma barque dans le courant pour rejoindre mes compagnons.Habiles pêcheurs, ils sortaient toujours quelques saumons de leur sac.Je choisissais les deux plus beaux pour les rapporter triomphalement à Béatrix sans que le moindre sourire vienne éclairer son visage sévère.De leur mère, Guillemette et Bertrand tiennent leur chevelure noire et bouclée et cet appétit de vivre joyeusement chaque instant Leur présence incarne à mes côtés le souvenir des heures délicieuses vécues sur l’île de la Garonne, au creux des roseaux, dévorant la bouche de cette femme aujourd’hui disparue dont je n’oublierai sans doute jamais l’ardente douceur.Mais aujourd’hui Éléonore sait me donner du bonheur.Comme chaque hiver, elle a fait tendre des étoffes épaisses et colorées le long des murs de brique au pied desquels s’alignent plusieurs coffres de bois finement sculpté, défendus par des fers et des serrures ouvragés.Ils contiennent mes outils de travail : les sceaux, les chartes, les chroniques portant témoignage de la vie et des actes de mes ancêtres, les Écritures sacrées, les cartes géographiques, les correspondances, les traités, les comptes, les titres de propriété, les actes de vente.Ces documents précieux fondent mes droits ou fixent mes obligations.Lorsque je travaille avec mes conseillers, mes comptables ou mes chroniqueurs, nous recouvrons la table de parchemins, de manuscrits, de plans et de cartes.La mémoire de ma famille remonte alors à la surface du temps.Au coucher du soleil, après avoir reçu les visiteurs, lu mes correspondances et dicté mes instructions, je monte prendre l’air sur le chemin de ronde du château Narbonnais.Les guetteurs me saluent, nous échangeons quelques mots, puis ils s’écartent pour me laisser jouir d’un instant de solitude.Depuis l’angle de la tour Gaillarde, le regard embrasse toute la ville.Les remparts de la Cité autour du clocher de la cathédrale Saint-Étienne et ceux du Bourg autour de la basilique Saint-Sernin dessinent la forme d’un cœur qui serait irrigué par l’artère de la Garonne traversant Toulouse.De l’autre côté du fleuve, s’étend le faubourg de Saint-Cyprien.Je ressens au plus profond de moi un grand amour pour cette ville dont le nom chante aussi doucement que celui d’une femme chérie.En le prononçant, les lèvres doivent s’arrondir et s’avancer comme pour donner un baiser.Sa beauté plus que millénaire défie le temps, offrant fièrement à la caresse des doigts ou des yeux sa belle chair de brique dont les teintes varient au gré des saisons ou des heures du jour
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