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.L’Ombre s’en aperçut redoubla d’amabilité.À la troisième danse, la princesse fut sur le point de lui avouer que son cœur était touché ; mais elle avait un fond de raison et pensait à son royaume ; elle se dit :« Ce prince est fort spirituel, sa conversation est très intéressante, c’est fort bien ; il danse divinement, c’est encore mieux.Mais, pour qu’il puisse m’aider à gouverner mes millions de sujets, il faudrait aussi qu’il eût de solides connaissances : c’est très important ; aussi vais-je lui faire subir un petit examen.»Et elle lui adressa une question si extraordinairement difficile, qu’elle-même n’aurait pas été en état d’y répondre.L’Ombre fit une légère moue.– Vous ne connaissez pas la solution ? dit-elle d’un air désappointé.– Ce n’est pas cela, dit l’Ombre ; seulement je suis un peu déconcertée parce que vous n’avez pas cru devoir m’interroger sur une matière un peu plus ardue.Quant à cette question, je connais la réponse depuis ma première jeunesse, au point que mon ombre, qui se tient là-bas, pourrait vous en dire la solution.– Votre ombre ! s’écria la princesse, mais ce serait un phénomène unique.– Je ne l’assure pas entièrement, dit l’Ombre, mais je crois qu’il en est ainsi.Toute ma vie je me suis occupée de science et il est naturel que mon ombre tienne de moi.Seulement, en raison même des connaissances qu’elle a pu acquérir, elle ne manque pas d’orgueil et elle a la prétention d’être traitée comme un être humain véritable.Je me permettrai de prier votre Altesse Royale de tolérer sa manie, afin qu’elle reste de bonne humeur et réponde convenablement.– Rien de plus juste, dit la princesse.Elle alla trouver le savant, qui se tenait contre la porte, et elle causa avec lui du soleil et de la lune, des profondeurs des cieux et des entrailles de la terre ; elle l’interrogea sur les nations des contrées les plus éloignées.Il ne resta pas court une seule fois, et il apprit à la princesse les choses les plus intéressantes.« Celui qui a une ombre aussi savante, se dit-elle, doit être un véritable phénix.Ce sera une bénédiction pour mon peuple, que je le choisisse pour partager mon trône : ma résolution est prise.»Elle fit connaître ses intentions à l’Ombre, qui les accueillit avec une grâce et une dignité parfaites.Il fut convenu que la chose serait tenue secrète, jusqu’au moment où l’on serait de retour dans le royaume de la princesse.– C’est cela, dit l’Ombre, nous ne laisserons rien deviner à personne, pas même à mon ombre.Elle avait ses raisons particulières pour prendre cette précaution.– Écoute bien, mon ami, dit l’Ombre à son ancien maître le savant.Je suis arrivée au comble de la puissance et de la richesse et je pense à faire ta fortune.Tu habiteras avec moi le palais du roi et tu auras cent mille écus par an.Mais, prends en bien note, tu passeras plus que jamais pour mon ombre, et tu ne révéleras à personne que tu as toujours été un homme.– Non, je ne veux pas tremper dans cette fourberie.À moi il serait égal d’être votre inférieur, mais je ne veux pas que vous trompiez tout un peuple et la fille du roi par-dessus le marché.Je dirai tout ; que je suis un homme, que vous n’êtes qu’une ombre vêtue d’habits d’homme, un reflet, une chimère.– Personne ne te croira, dit l’Ombre.Calme-toi, ou j’appelle la garde.– Je m’en vais trouver la princesse, dit le savant, et tout lui révéler.– J’y serai avant toi, dit l’Ombre, car tu vas aller tout droit en prison.La garde arriva et obéit à celui qui était connu comme le fiancé de la fille du roi.Le pauvre savant fut jeté dans un noir cachot.– Tu trembles, dit la princesse lorsqu’elle vit entrer l’Ombre.Qu’est-il arrivé ?– Je viens d’assister à un spectacle navrant, répondit l’Ombre.Pense donc, mon ombre a été prise de folie.Voilà ce que c’est ! À ma suite elle s’est toujours occupée de hautes sciences, et la tête lui aura tourné.Ne s’imagine-t-elle pas qu’elle a toujours été homme ? Mais il y a plus : elle prétend que je ne suis que son ombre !– C’est épouvantable ! s’écria la princesse.Elle est enfermée, n’est-ce pas ?– Oui certes, dit l’Ombre.Je crains bien qu’elle ne se remette jamais.– Pauvre ombre ! dit la princesse.Elle doit être fort malheureuse : un être aussi mobile qui se trouve claquemuré dans une étroite cellule ! Ce serait probablement lui rendre un grand service que de la délivrer de son petit souffle de vie.Et puis dans ce temps de révolutions, où l’on voit les peuples toujours s’intéresser à ceux que nous autres souverains sommes censés persécuter, il est peut-être sage de se débarrasser d’elle en secret.– Cela me semble bien dur cependant, dit l’Ombre d’un air contrit et en soupirant ; elle m’a servie si fidèlement !– J’apprécie tes scrupules, dit la princesse, et je reconnais une fois de plus combien tu as un noble caractère.Mais ceux qui sont chargés d’une couronne ne peuvent pas écouter leur cœur.Donc je m’en tiendrai à ce que j’ai pensé.Le soir, toute la ville fut illuminée splendidement ; à chaque seconde retentissait un coup de canon.Les cris de joie du peuple se mêlaient aux boum boum.C’était magnifique.Un superbe feu d’artifice fut tiré devant le palais, et la fille du roi et son époux vinrent sur le balcon recevoir les acclamations.Le bruit étourdissant de la fête ne troubla pas le pauvre savant ; il était déjà mis à mort et enterré.Chapitre 2Le papillonLe papillon veut se marier et, comme vous le pensez bien, il prétend choisir une fleur jolie entre toutes les fleurs.Elles sont en grand nombre et le choix dans une telle quantité est embarrassant.Le papillon vole tout droit vers les pâquerettes.C’est une petite fleur que les Français nomment aussi marguerite.Lorsque les amoureux arrachent ses feuilles, à chaque feuille arrachée ils demandent :– M’aime-t-il ou m’aime-t-elle un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout ? La réponse de la dernière feuille est la bonne.Le papillon l’interroge :– Chère dame Marguerite, dit-il, vous êtes la plus avisée de toutes les fleurs.Dites-moi, je vous prie, si je dois épouser celle-ci ou celle-là.La marguerite ne daigna pas lui répondre.Elle était mécontente de ce qu’il l’avait appelée dame, alors qu’elle était encore demoiselle, ce qui n’est pas du tout la même chose.Il renouvela deux fois sa question, et, lorsqu’il vit qu’elle gardait le silence, il partit pour aller faire sa cour ailleurs.On était aux premiers jours du printemps.Les crocus et les perce-neige fleurissaient à l’entour.– Jolies, charmantes fleurettes ! dit le papillon, mais elles ont encore un peu trop la tournure de pensionnaires
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