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.Enfin, dans un coin, en tas, des disques, des annuaires, des enveloppes, des valises.La moquette est ardoise.Les murs, jaune citron.Sur le mur de droite, l’affiche de la machine à laver ; à gauche l’affiche des Bahamas, Creezy faisant du ski nautique, bondissant dans l’écume ; au fond, Creezy en bermudas banane sur fond de bungalows relaxe, visitez les Comores.Creezy est devant l’affiche des Bahamas.On dirait que c’est son ombre qui est projetée derrière elle, son ombre démesurée, comme sous l’effet d’un projecteur, non, son ombre, ce n’est pas assez dire, on dirait que c’est elle-même qui est projetée là, arrachée à elle-même, volée d’elle-même, devenue cette géante qui fonce sur nous dans un ciel traversé d’oriflammes.Des glaçons tintent dans mon verre.Brusquement, il me semble que, devant cette géante qui la déborde de toutes parts, Creezy n’existe plus, ou plutôt qu’elle est partout, que je suis dans une ville dont les immeubles sont autant de Creezy, dans une boîte dont les parois sont autant de Creezy, et qui marchent sur moi, qui se referment sur moi, Creezy dans l’écume des vagues, Creezy dans le ciel traversé d’oriflammes.Les glaçons tintent encore une fois.Le rêve se dissipe.Les affiches reculent.Il n’y a plus que Creezy.Ai-je encore envie d’elle ? Je ne retrouve rien de l’élan que j’ai eu à l’aéroport, que j’avais encore dans ma voiture et qui, bizarrement, s’est dilué le long du sentier en opus incertum.Je n’éprouve plus que le plus vulgaire des sentiments : l’honneur viril.J’avance vers Creezy.Je la prends par les coudes.Elle se dégage.Je la reprends.Elle pose sa main sur ma poitrine.Sa main qui tient un verre.Ce n’est pas une caresse, c’est pour me repousser.Je prends son verre.Je cherche où le poser : il n’y a rien.Je finis par le poser à terre.Et le mien en même temps.Creezy n’a pas bougé.Elle me regarde.Elle se mord la lèvre.Je me penche sur elle.Ma joue est contre la sienne.— Il y a Neige, dit-elle.Neige ?— Elle est dans la cuisine.— Elle peut entrer.— Envoyez-la faire une course.Dans les yeux verts de Creezy, je vois, très distinctement, se profiler une réponse insolente.Elle se profile.Elle ne vient pas.Je m’écarte et, sur un ton de cérémonie :— Je voudrais vous demander un service.Pouvez-vous me prêter Neige pour une heure ?Là, dans les yeux verts, il y a une lueur d’intérêt.— Que voulez-vous en faire ?Sur le tas de disques, j’avise un annuaire des téléphones par rues.Je cherche la rue de Charonne.J’y trouve un certain Coutelet.Coutelet F.Sans autre indication.— Je voudrais une enveloppe aussi.Et une feuille de papier.La lueur d’intérêt est toujours là.Creezy me tend l’enveloppe et la feuille de papier.— Je veux faire porter une lettre à ce monsieur…J’ai déjà oublié le nom.Je reprends l’annuaire.— A ce monsieur Coutelet.— Mais… vous le connaissez ?— Non.Pas du tout.— Alors, qu’allez-vous lui écrire ?— Rien.Je mets la feuille de papier, c’est tout.Pour moi, son seul intérêt est qu’il habite rue de Charonne.A l’autre bout de Paris.— Ah, non !J’espérais faire rire Creezy.Elle n’a pas ri.Mais elle s’est animée.C’est déjà un résultat.— Un papier blanc, c’est bête.Il faut lui mettre… attendez… mettez-lui : tout est découvert, fuyez.— Et supposez que cet homme ait vraiment… Non, non, je ne veux pas avoir ça sur la conscience.Je vais écrire…Tout ce gel, ce froid, ce givre entre nous se sont dissipés.Creezy m’entraîne par la main, elle rabat la table pour que je puisse écrire.— Je vais lui mettre : pour affaire urgente, vous êtes prié de téléphoner à…Ce n’est pas assez, je le sens bien.— Pensez à sa tête… Ou bien… Et je signe Josuah.Je m’efforce de trouver cette idée de Josuah irrésistible.Elle ne l’est pas.D’une seconde à l’autre, toute l’animation de Creezy est tombée.— Neige ne parle pas quatre mots de français.Elle ne trouvera jamais.— Je téléphone pour faire venir un taxi.Le taxi l’emmène, la ramène.Creezy me regarde.Une fois de plus, il y a entre nous cette absence.— Vous ne pouvez pas refuser de me rendre ce service.Creezy appelle Neige.Elle lui explique.En espagnol.Un espagnol rapide, saccadé.Je ne sais pas pourquoi, cet espagnol me met mal à l’aise.C’est comme une autre Creezy, une épaisseur de Creezy, une vie de Creezy, dont je ne sais rien.Je vais sur la terrasse
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