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.Ces yeux étaient bien trop innocents et confiants pour appartenir à un Romain.— Est-ce là le remède à la gueule de bois ? redemanda Tiron.Posséder une femme, le matin ?J’éclatai de rire.— Certainement pas.Cela fait plus souvent partie de la maladie.À moins que ce ne soit une incitation à guérir, pour la prochaine fois.Il regarda la nourriture, devant lui, et prit de petits morceaux de fromage, poliment, mais sans enthousiasme.Manifestement, il avait l’habitude de mets plus raffinés, même en tant qu’esclave.— Le pain et le fromage, alors ?— La nourriture aide, si l’on sait se restreindre.Mais le véritable remède à la gueule de bois m’a été enseigné par un sage médecin d’Alexandrie, voici presque dix ans – quand j’avais à peu près ton âge, je crois, et que je connaissais le vin.Il m’a bien servi, depuis.Selon lui, vois-tu, lorsque l’on a trop bu, certaines humeurs du vin, au lieu de se dissoudre dans l’estomac, montent comme des vapeurs fétides jusqu’à la tête, épaississant le flegme sécrété par le cerveau et provoquant son gonflement et son inflammation.Ces humeurs finissent par se disperser et le flegme se ramollit.C’est pourquoi l’on ne meurt pas d’une gueule de bois, si cruelle qu’ait été la souffrance.— Le temps serait donc l’unique remède ?— À l’exception d’un autre, plus rapide : la pensée.L’exercice concentré de la réflexion.Tu vois, la pensée, selon mon ami médecin, prend naissance dans le cerveau, lubrifié par la sécrétion du flegme.Lorsque ce flegme se corrompt et durcit, il en résulte une migraine.Mais l’activité de la pensée produit du flegme frais qui dissipe le vieux ; plus l’on pense intensément, plus la production de flegme est grande.Ainsi, la concentration intense accélérera la guérison naturelle de la gueule de bois, en nettoyant les humeurs du tissu enflammé et en rétablissant la lubrification des membranes.— Je vois.Tiron avait l’air dubitatif, mais impressionné.— Tout cela paraît logique.Naturellement, il faut accepter le point de départ, qui ne peut pas être prouvé.Je me carrai dans ma chaise et croisai les bras, tout en grignotant une croûte de fromage.— La preuve réside dans le remède.Je me sens déjà mieux, vois-tu, d’avoir été obligé d’expliquer comment cela fonctionne.Et je pense que je serai entièrement guéri dans quelques minutes, une fois que je t’aurai expliqué la raison de ta venue.Tiron sourit prudemment.— Je crois bien que le remède est inefficace.— Ah ?— Tu t’es trompé de pronom.C’est moi qui vais t’expliquer pourquoi je suis venu chez toi.— Mais non ! Il est vrai, comme tu as pu le constater sur mon visage, que je n’ai jamais entendu parler de ton maître – quel nom m’as-tu dit ? – Marcus quelque chose Cicéron ? Un parfait inconnu.Néanmoins, je puis te dire deux ou trois choses à son sujet.Je fis une pause, assez longue pour être sûr de mobiliser toute l’attention du jeune homme.— Il vient d’une famille très orgueilleuse, trait de caractère dont il a hérité.Il vit ici, à Rome, mais sa famille est originaire d’ailleurs, du Sud peut-être ; ils ne sont dans la ville que depuis une génération, tout au plus.Ils sont un peu mieux qu’à leur aise, mais rien de fabuleux.J’ai raison, jusque-là ?Tiron me regarda avec suspicion.— Jusque-là, oui.— Ce Cicéron est un jeune homme, comme toi ; un peu plus vieux, je pense.Il étudie passionnément l’art oratoire et la rhétorique, et c’est – dans une certaine mesure – un sectateur des philosophes grecs.Pas un épicurien, j’imagine, mais peut-être un stoïcien, sans être de stricte observance.Exact ?— Oui.Tiron commençait à paraître vraiment mal à l’aise.— Pour ce qui est de la raison de ta venue, tu viens chercher mes services pour un procès que Cicéron va plaider à la tribune des Rostres.Cicéron est un avocat, qui débute dans la carrière.Néanmoins, c’est un procès important et difficile.Quant à celui qui a recommandé mes services, ce serait le plus grand des avocats romains.Hortensius, naturellement.— Mais… oui.Tiron murmura ces mots d’une voix à peine perceptible.— Mais comment peux-tu…— Et l’affaire proprement dite ? Une affaire de meurtre, je pense…Tiron me regarda obliquement, l’air franchement étonné.— Et pas un simple meurtre.Non, pire que ça.Quelque chose de bien pire…— Tu as un truc, murmura Tiron.Il détourna le regard, en secouant la tête avec effort, comme s’il était hypnotisé.— Tu procèdes en me regardant au fond des yeux.C’est de la divination…Je massai mes tempes de la pointe des doigts, les coudes relevés, pour soulager la violence des battements de mon sang et prendre une pose théâtrale.— Un crime impie, murmurai-je.Infâme.Innommable.Le meurtre d’un père par son propre fils.Un parricide !Je relâchai la pression et me calai confortablement, fixant mon interlocuteur droit dans les yeux
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