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.Je me noie et j’ai peur ! Terriblement peur…La première image qui me revient de mon réveil de naufragé cerne le visage défait de ma mère.Rares ont été les moments où je l’ai vue abîmée de la sorte dans un sanglot.Non qu’elle fut dure ou insensible, mais maman a toujours eu l’élégance de ces femmes de cœur qui s’interdisent de lester autrui de leurs états d’âme et qui mettent un point d’honneur à rester éclusières de leurs détresses.Avec les années, je crois pouvoir dire que cette défaillance soudaine dont je me crus alors seul responsable, ce jaillissement de douleur qui me fit si forte impression, était le trop-plein d’une autre peine soigneusement contenue liée à l’absence prolongée d’Alexandre Carvagnac, mon père, qui était retenu à l’étranger depuis des mois.Fors ma mère, aucun de nous ne mesurait le danger qui pesait sur ses épaules alors qu’il travaillait sous haute surveillance militaire au creusement d’un puits géant dont il ne voyait pas le bout dans un coin troublé du Kamtchatka.Il n’en est pas de la géologie profonde comme du percement des montagnes, qui propose une issue aux mineurs.Père faisait les frais d’un forage scélérat, mal implanté par une équipe de repéreurs négligents.Jouant de malchance, il était tombé dans le dernier tronçon sur de la roche brûlante qui réduisait les trépans en bouillies et se montrait rebelle au dynamitage.Cette fouille menée sous la contrainte dans la basse lithosphère fut pour lui un cauchemar.Alarmé par la température excessive du sous-sol aux abords de la cavité qu’il devait atteindre, le puisatier redoutait une irruption de magma en surpression dans le sondage et la remontée par le boyau d’une masse de lave qu’aucun dispositif de destruction du puits ne pourrait arrêter.Il vécut avec cette hantise des mois durant, craignant pour la vie de ses hommes, à qui les autorités ne donnaient pas d’autre choix que de poursuivre le creusement.Tout cela nous l’apprîmes quand il nous revint.Je le revois à sa sortie d’avion.Il était maigre, portait une barbe de trappeur aux frontières incertaines qui remplissait les creux de ses joues, envahissait son cou.Malgré l’épuisement qui se lisait dans ses traits, c’est en conquérant qu’il vint à notre rencontre, nous embrassa.Il était soulagé du dénouement heureux de l’aventure.Il exultait de nous retrouver.Et moi je gâchais la fête en pleurant.C’était ma pauvre façon de saluer le retour du héros, ce héros légendaire comme il n’en existait que dans mes livres.Clovis me railla et, injure suprême, me traita de « fille ».Ce jour-là, père m’enleva à mon fauteuil roulant pour me porter dans ses bras.Mon visage d’enfant contre le sien.La caresse rêche de sa main lapant mes larmes.J’ai traversé à hauteur d’homme cet aéroport que j’aurais voulu interminable, j’ai eu en prêt ses jambes valides pour marcher.Mon bonheur et ma fierté éclatent sur cette photo qui fit la une des journaux le lendemain de son retour.J’ai conservé cette page où l’on voit nos visages accolés sous le titre « La remontée des abîmes du puisatier Carvagnac ».Samedi 3 juinMon père n’est pas un puisatier ordinaire, de ceux qui ramènent en surface les eaux souterraines pour abreuver les gens ou exploitent les sources chaudes qui circulent dans le chauffage de nos villes.De même, il a toujours fait peu de cas des poches gazeuses, de l’or noir, des minerais précieux qui titillent la fibre financière des extracteurs plutôt que leur cœur.Ses ambitions l’ont mené beaucoup plus loin dans l’exploration du sous-sol, à plusieurs milliers de mètres sous nos pieds, là où se cachent les grands vides, ces cavités souterraines qui se sont formées dans la lithosphère lors d’explosions volcaniques superficielles ou, plus bas encore, ces crevasses enfouies au plus profond de la terre et dont les soubassements trempent dans un bouillonnement de magma éblouissant mariant la fusion de ses rouges et de ses ors, une pelure incandescente d’étoile.Il aura été le premier à ouvrir une cheminée sur les régions inférieures, le premier à atteindre une de ces matrices torrides ayant contenu en des temps géologiques reculés la sève de l’astre prisonnier.Un métier de géant doublé d’un doigté d’horloger
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