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.Comme Isadora Duncan, ce sont des femmes de caractère, mais qui ne peuvent faire école.Les élèves n’ont pas le même feu et ce qu’elles font meurt avec elles.Noureev a été le plus grand des danseurs, c’était une mécanique extraordinaire qui possédait aussi une âme.Il faut l’avoir vu danser pour comprendre, c’était un fauve, une bête sauvage.Il cassait le trop grand classicisme, les conventions.C’était bouleversant.CHAPITRE IV.AU TOUT-PARIS DANS LE CIEL.CÉLINE : LA RENCONTRE.Tout en haut de la Samaritaine se trouve un lieu enchanté où souvent, avec Lucette, nous sommes allées prendre le thé.Perchées dans le ciel comme deux nuages, nous restions silencieuses, des heures durant, à contempler le reflet irisé de l’eau sous les ponts, les toits gris de Paris et le ciel d’ardoise.Quand j’ai rencontré Louis, je voulais mourir, je trouvais la vie si triste.Je n’avais pas d’amis, je ne parlais pas, j’étais entièrement tournée sur moi-même et la danse.Je prenais des cours chez Mme Blanche d’Allessandri, rue Henri-Monnier, c’est là que j’ai connu Louis, amené par Gen Paul.Mme d’Allessandri était un professeur d’une rigueur et d’une exigence implacables.Jeune danseuse étoile, elle avait vu sa carrière s’arrêter à la suite d’une chute et d’un genou fracturé dans un théâtre à Buenos Aires.Armée d’une baguette, elle nous corrigeait à la moindre erreur dans l’exécution d’un mouvement.Pour progresser et apprendre à dominer sa souffrance, cette discipline de fer est la seule école possible.Je me souviens qu’elle avait une habitude étrange qui m’avait frappée ; à leur mort, elle faisait empailler tous ses animaux et les mettait chez elle en décor, là où ils avaient coutume de se tenir.Je n’avais pas assez d’argent pour payer régulièrement mes leçons, alors Louis, discrètement, déposait un billet pour moi en s’en allant.Pour les jouer, ma mère me volait les premiers cachets que je touchais.De la même façon par la suite, quand j’ai commencé à voir Louis, elle me dérobait l’argent qu’il me donnait pour aller le rejoindre chez lui, rue Lepic, en taxi.J’avais vingt-trois ans, lui quarante et un à notre première rencontre.Il me donnait rendez-vous au Luxembourg, il ne parlait pas, il cherchait ma force.On s’asseyait à une table pour déjeuner.Là, il commandait deux biftecks, dévorait le sien en cinq minutes et me disait : « On y va.» Je n’avais pas touché à mon plat.De la même façon quand nous allions au cinéma, il regardait les premières images du film et m’entraînait dehors.Les livres, il les ouvrait au hasard, la première page, puis une au milieu, deux, trois vers la fin.Il parcourait quelques lignes à voix haute puis refermait l’ouvrage en me disant : « Tu as compris.» C’était l’Homme pressé de Paul Morand.Il avait aussi alors un côté Gatsby, nonchalant, habillé avec soin, décontracté, il était d’une beauté incroyable, les yeux bleus avec juste un petit rond noir à l’intérieur.On était très différents l’un de l’autre, mais on s’est tout de suite compris.Les sentiments humains, on ne peut pas les fabriquer, ils vous tiennent, on ne sait pas pourquoi.Je n’osais pas lui parler, refusais de le tutoyer, je lui écrivais des lettres.Il n’était pas question pour moi d’avoir une aventure avec lui.Entre nous il y a eu une attraction physique très forte, après nous sommes devenus complices.J’ai attendu un mois avant de coucher avec lui.J’avais peur de m’engager et de souffrir.Louis avait une réputation de séducteur et je me méfiais.Je ne l’ai pas fait exprès, mais je n’aurais pas pu mieux agir.Il avait horreur de toutes ces filles faciles qu’il fréquentait.Je l’ai aimé et épousé alors qu’il avait vingt ans de plus que moi et que je n’avais pas pris conscience que je passerais plus de la moitié de mon existence sans lui.Avant Céline, deux hommes ont compté dans ma vie.Tous les deux chanteurs, le premier ténor, le second basse.C’est à l’Opéra-Comique que je les ai connus presque au même moment.L’un avait trente-cinq ans, était américano-italien et me chantait des airs de La Nouvelle-Orléans.Quand il est reparti aux États-Unis pour divorcer et préparer notre mariage, j’ai appris qu’il était marié et je n’ai plus jamais voulu le revoir.C’est avec lui que ma mère a eu une aventure.L’autre qui me tournait autour était très riche, fils de famille dont le père, neurologue, travaillait avec Charcot.La famille était d’accord, mais je n’en ai pas voulu.Il est mort en 40, tué par les Allemands.Il n’existe pour moi rien de plus sensuel au monde que le chant.La voix vient du ventre et exprime l’esprit en même temps.Écouter chanter m’a toujours procuré une émotion immense.C’est le corps et l’âme réunis.De 1935 à 1940, je voyageais sans cesse car j’avais des contrats de danse à l’étranger.Cet éloignement a dû placer les choses.Louis m’envoyait des lettres dans lesquelles il m’écrivait : « C’est avec toi que je veux finir ma vie, je t’ai choisie pour recueillir mon âme après ma mort.» Je n’y comprenais absolument rien.Je ne cherchais pas le bonheur avec lui, j’aspirais simplement à le rendre moins malheureux.Il avait besoin de ma jeunesse et de ma gaieté, et moi de sa tête d’homme qui avait vécu.Voilà pourquoi on s’est emboîtés tout de suite l’un dans l’autre.C’était un être désespéré, d’un pessimisme total, mais qui en même temps nous donnait une force incroyable.Il y avait chez lui une intensité dans la tristesse que tout le monde fuyait.Je suis restée car je n’étais pas vraiment dans le monde, j’avais tout donné à la danse.Quand on s’est connus, Louis en même temps qu’il a perçu ma désillusion, a vu au même moment mon côté si naïf.C’est ce contraste et ce mélange de tristesse et de candeur qui lui ont plu.Je n’ai jamais pesé sur lui, c’était ma force sans le savoir, car il ne voulait pas qu’on l’enchaîne, qu’on l’empêche de s’évader.C’est ce sentiment d’enfermement au sein de la haute bourgeoisie rennaise qui avait brisé son mariage avec Edith Follet.C’était un sentimental, un fétichiste qui gardait tout, même la vieille casserole cassée de sa mère.J’ai mis vingt-cinq ans à le connaître.Il est plus facile à comprendre qu’à expliquer car le plus souvent il disait le contraire de ce qu’il pensait.Il ne voulait pas montrer sa tendresse, alors il agressait, même avec moi il a été horrible.A Meudon, il a eu dix ans d’agonie.Il ne supportait pas mon absence, refusait que je travaille trop, insistait pour que je mange, et il hurlait sans cesse.Personne n’a compris, mais c’est qu’il m’aimait trop.Toute ma vie avec lui, c’est comme si on m’avait cassé du verre dans le cœur.Il était comme une fleur dont je devais sans cesse tenir la tige droite.Je l’ai complètement maintenu.La mère de Louis avait le même caractère que son fils, l’intelligence en moins.C’était Louis en plat
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