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.Lui revient subitement en mémoire, de façon incongrue, une des recommandations éculées de son père, censée la protéger en cas de tempête : « Nic, ma chérie, quand les éclairs déchirent le ciel, ne reste pas à découvert, et ne tente pas de te cacher sous les arbres.Déniche le fossé le plus proche, et aplatis-toi le plus possible tout au fond.» Le problème, c’est qu’à cet instant précis elle n’a d’autre refuge que son silence.— M’enfin, Doc, c’est fini, les examens !— Qui a apporté des devoirs à notre soirée ?— Ouais, on n’est pas de service !— « Pas de service », je vois… réfléchit Scarpetta.Donc, si vous n’êtes pas de service lorsqu’on retrouve le corps d’une personne disparue, vous ne répondez pas à l’appel, c’est bien cela ?— Faudrait d’abord que j’attende d’avoir cuvé mon bourbon, déclare un flic dont le crâne rasé brille comme un sou neuf.— Judicieuse idée, admet-elle.Tous les flics s’esclaffent, sauf Nic.De surcroît, l’hypothèse n’est pas si farfelue que cela, reprend Scarpetta en posant le flacon à côté de son verre de vin.Nous pouvons être appelés à n’importe quel moment.L’affaire peut s’avérer être la pire de toute notre carrière.Qui dit que l’appel en question ne nous parviendra pas un jour où nous sommes un peu déphasés après quelques verres avalés sur notre temps libre, ou à un moment où nous nous sentons patraques ? Cela peut même nous tomber dessus alors que nous sommes en plein milieu d’une dispute avec un amant, un ami, un de nos enfants.Elle repousse son assiette de thon à peine entamée, et croise les mains sur la nappe à carreaux.— Mais les enquêtes ne peuvent pas attendre.Un inspecteur de Chicago, que les autres ont baptisé Popeye à cause de l’ancre de marine tatouée sur son avant-bras gauche, demande alors :— Non, blague à part, vous ne croyez pas que certaines d’entre elles sont moins urgentissimes que d’autres ? Je ne sais pas, moi… par exemple, des ossements au fond d’un puits, ou enterrés dans un sous-sol.Ou un cadavre sous une dalle de béton ? Je veux dire… ils ne vont pas s’envoler, quand même ?— Les morts sont impatients, lâche Scarpetta.2Les nuits du bayou évoquent toujours pour Jay Talley un orchestre cajun.Les coassements des grenouilles taureaux s’acquittent des basses, les criaillements d’oiseaux évoquent les cordes pincées d’une guitare électrique ; quant à la frénésie des cigales et des sauterelles, elle se fond pour reproduire le son râpeux ou vrillant des planches à laver et des crincrins.Talley dirige le faisceau d’un projecteur vers la forme sombre et tourmentée d’un vieux cyprès, et des prunelles d’alligator trouent l’obscurité comme des éclairs avant de disparaître sous la surface noire de l’eau.La lumière se peuple du bourdonnement à la fois doux et menaçant des moustiques, tandis que le bateau dérive, moteur coupé.Assis sur le siège du pilote, Jay surveille négligemment la femme lovée dans le casier à poissons, juste à ses pieds, un peu en contrebas.Voici quelques années de cela, alors qu’il cherchait à acquérir un bateau, cette belle barge à fond plat lui avait tapé dans l’œil.Le casier à poissons placé dans le fond est assez long et assez profond pour contenir plus de soixante kilos de glace et de poisson… ou bien une femme bâtie comme il les aime.Les yeux de celle-ci, agrandis par la peur, brillent dans l’obscurité.En plein jour, ils sont bleus, d’un beau bleu profond.Elle presse douloureusement les paupières lorsque Jay la caresse du faisceau lumineux.La lumière coule de son joli visage de femme mûre, parcourt tout son corps puis parvient à l’extrémité de ses orteils vernis de rouge.Elle est blonde, sans doute âgée d’une petite quarantaine, mais elle paraît plus jeune.Elle est menue, mais ses formes sont harmonieuses.Des coussins de bateau orangés parsèment le casier à poissons en fibre de verre ; ils sont sales, maculés de vieilles taches de sang sombres.Jay lui a lié les mains et les chevilles de façon assez lâche, avec délicatesse, douceur même, afin que la corde de Nylon jaune n’entrave pas la circulation sanguine.Il lui a dit que, tant qu’elle ne se débattrait pas, la corde n’abîmerait pas sa peau douce.— De toute façon, il est inutile de te débattre, a-t-il précisé de cette voix de baryton qui s’accorde si bien à son allure de jeune dieu blond.Et je ne te bâillonnerai pas.Il ne serait pas non plus très raisonnable de crier, n’est-ce pas ?Elle a hoché la tête, le faisant pouffer.On aurait presque cru qu’elle acquiesçait, alors que, bien sûr, elle voulait dire « non ».Mais Jay Talley comprend à merveille comment parlent et agissent les gens qui ont perdu les pédales lorsqu’ils sont terrifiés, un adjectif qui l’a toujours frappé par sa totale inadéquation.Sans doute qu’à l’époque où Samuel Johnson[3] planchait sur les nombreuses éditions de ses dictionnaires, celui-ci n’avait aucune idée de ce que peut ressentir un être humain lorsqu’elle ou lui anticipe l’horreur et la mort.C’est l’anticipation qui fait naître dans chaque neurone, dans chaque cellule, une inextinguible panique qui va bien au-delà de la simple terreur.Cela étant, Jay, qui pourtant parle couramment plusieurs langues, ne trouve pas de meilleur mot pour décrire ce que ressentent ses victimes.Un frisson d’horreur.Non.Il dévisage la femme.C’est un agneau.Il n’existe que deux races d’individus dans ce monde : les loups et les agneaux.Ce besoin qu’il éprouve de décrire avec une précision maniaque ce que ressentent ses agneaux s’est transformé en quête obsessionnelle, implacable
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