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.Il parlait peu.Sa femme, plus grande que lui, parlait pour deux.Elle le connut un dimanche où il s’était lavé et l’épousa pour ses quatre sous.Tandis que lui ne pensait qu’à les multiplier, avant de retourner avec sa famille à Brioude qui l’avait vu naître, elle lisait des romans.Il s’acharnait au travail même les jours de fêtes.Entre deux livraisons, il liait des margotins et des résinés.Elle lui avait dressé un lit à part, avec des draps de lustrine noire.Il y ronflait tôt, se levant avant l’aube.Elle descendait au café vers dix heures, disait « monsieur » à tous les clients, même à Jules, le clochard, qui venait manger ses rogatons à la table fendue.L’un et l’autre ne pensaient à leur fille que lorsqu’elle se trouvait là.Encore l’oubliaient-ils souvent, quand Anicette s’oubliait elle-même jusqu’à ne plus faire le bruit de sa respiration.Elle rentrait de l’école, s’asseyait dans le coin le plus sombre, entre le bout du comptoir et le mur.Elle regardait les buveurs, qui ne la voyaient pas.Le sidi rejetait en arrière sa casquette sale.Elle le coiffait d’une couronne d’or, le drapait dans un manteau rouge, avec des gants blancs jusqu’aux coudes.La chaise devenait cheval.D’autres cavaliers, une multitude, se pressaient autour du roi, brandissaient des lances et des bannières.Le peuple criait de joie, mille cloches sonnaient, les locataires jetaient des sous par les fenêtres, des avions emplissaient le ciel et laissaient tomber des confettis, des rubans et des pétales de fleurs.— Fais voir tes mains, lui dit sa mère après avoir lu la lettre.Elle ne vit que des taches d’encre.— Tu ne pourrais pas te nettoyer les ongles, cochonne ? On dirait ceux de ton père.Je me demande ce que c’est cette histoire de montrer l’avenir, ce que tu as pu faire à l’école.Réponds-moi, descends un peu de la lune.— J’ai fait comme ça.dit Anicette.Elle prit dans le creux de ses mains un peu de l’eau où trempaient les verres sales et les tendit à sa mère.— Tu vois bien qu’y a rien, reprit l’enfant.Mme Gembloux, les yeux fixés sur les mains de sa fille, tremblait et claquait des dents.— Qu’est-ce qui vous arrive, ma pauvre dame ? demanda le balayeur, qui buvait un petit blanc au comptoir, v’là que vous devenez verte.— C’est rien.Oh ! C’est rien, put-elle enfin répondre.Je.je.j’avais chaud.Jette cette eau ! cria-t-elle à sa fille.Va jouer, ma chérie.Elle se versa un verre d’arquebuse, se retira dans son arrière-boutique et s’assit sur le bord de la table.Ses jambes ne la soutenaient plus.En face d’elle, sur le mur, elle revit se dessiner l’image offerte par les mains d’Anicette : un cercueil de bois clair et, dans le cercueil, son mari noir, enveloppé de son drap de lustrine.Sa bouche rose et ses yeux blancs étaient ouverts.Il regardait, à travers elle, jusqu’au plus profond de la mort.Elle tremblait de peur et de honte.Car dans le fond de son cœur, elle sentait naître la joie.Elle refit sa vie en pensée.Elle vendait le bistrot, épousait un jeune homme riche et beau qui l’emmenait à Nice en auto.Elle ne souhaitait pas la mort de son mari.Mais on ne sait ni qui vit ni qui meurt.Ce n’était pas un péché d’espérer que le ciel lui rendrait peut-être justice en la laissant survivre à cet homme noir.Elle appela sa fille, déjà presque orpheline, la serra pathétiquement sur son cœur.— Anicette, ma chérie, surtout ne montre pas tes mains à ton pauvre papa.Elle désirait le laisser jusqu’au bout dans son illusion.Lui qui croyait vivre cent ans !De ce jour, elle fut aux petits soins pour son mari.Elle lui parlait à voix douce, lui cuisinait des plats sucrés, lui gardait sa soupe au chaud lorsqu’il rentrait tard de livrer.Elle désirait adoucir ses derniers moments.Qu’on n’ait rien à lui reprocher.Elle lui fit rédiger son testament et prendre une assurance sur la vie.Le docteur qui ausculta le bougnat grommela en frottant son oreille noircie : « Voilà une assurance qu’on n’est pas près de vous payer.» « Bien sûr, bien sûr.», répondit-elle.Ces précautions prises, elle se mit à la recherche du beau jeune homme.Elle ne voulait pas perdre le moindre temps.La quarantaine approchait.Elle laissait le bistrot à la garde de la femme de ménage et fréquentait les cafés des boulevards.Elle renouvela son indéfrisable, acheta un corset solide, un chapeau fleuri et un renard qui se mordait la queue dans son décolleté.Elle fit la connaissance d’un homme très bien, qui cherchait, lui aussi, l’âme sœur.Leurs cœurs incompris se devinèrent.C’était un grand blond, d’une trentaine d’années.Il avait le nez un peu rouge, d’étranges cicatrices sur tout le visage et une jambe en bois.Il lui raconta qu’un tigre l’avait à moitié dévoré au cours d’une chasse en Birmanie.Son pilon fit oublier à Mme Gembloux l’image du séducteur langoureux.Elle tremblait d’émotion à l’entendre marcher.Après trois mois de glaces à la vanille et de cinéma, elle se laissa entraîner dans un hôtel meublé.C’était à peine de l’adultère ; seulement une petite avance.Elle rentra au bistrot les yeux troubles, avec des râles de pigeonne dans la voix.A son amant, elle se disait veuve.Elle attendait de toucher son héritage pour l’épouser.Mais le charbonnier était toujours là.Le boiteux s’impatientait.Il désirait acheter un garage.« Avec ton argent – et le mien, bien entendu – nous pouvons nous payer une petite affaire de voitures d’occasion.J’ai des copains qui se chargeront de m’amener de la marchandise.Non, nous ne travaillerons pas nous-mêmes, ma grosse.Mais il ne faut pas laisser l’argent infructueux.Quand vas-tu le toucher, voyons ? Moi, je vais aller lui secouer les puces, à ton notaire.» Il brandissait sa canne d’un air terrible.Elle s’inquiéta de la santé de son mari.« Tu ne te sens de mal nulle part ? » lui demandait-elle d’une voix anxieuse.Il répondait « non » entre deux bouchées.Elle mit son espoir dans un accident.Quand il rentrait plus tard que d’habitude, elle supputait son retour sur une civière.Le bruit de la charrette sur les pavés de l’impasse lui enlevait ses illusions.Elle soupirait.Ce serait peut-être pour demain.Les jours, les semaines et les mois passaient.Le boiteux menaça de la plaquer et lui administra quelques raclées.Elle tremblait qu’il n’apprît la vérité.Le charbonnier continuait à se bien porter.Il y mettait plus que de l’entêtement : de la mauvaise volonté.Quand on est condamné, il faut pourtant se décider à débarrasser les gens.Mme Gembloux reçut de son amant un dernier délai de huit jours pour liquider son héritage.« Je commence à croire que tu t’es payé ma pomme.Ça pourrait te coûter cher.»Le soir, elle pleura quand son charbonnier rentra, une fois de plus, intact et silencieux.« Mon pauvre André, lui dit-elle en reniflant, je me demande ce que tu attends.Je vais être obligée de t’aider un peu.»Elle lui servit une soupe à la mort-aux-rats.Il la vomit en long et en large sur son drap noir et repartit, le matin, d’un bon pied, livrer ses boulets.Elle doubla la dose, y ajouta les raclures de vert-de-gris du robinet de la cuisine.Il mangea de douleur la moitié de son traversin, appela sa mère et tenta de s’ouvrir le ventre avec ses ongles.Il se roulait d’un bord à l’autre de son lit [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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